par Frédéric (septembre 2014) : Zanzibar : une île en mouvement, une méthode de travail en mouvement
C’est la seizième fois que je voyageais sur « mon île », ce petit chapelet de corail, de sable et de terre que j’aime tant, à 6° au sud de l’Equateur. Ce voyage s’est passé comme mes quinze premiers voyages à Zanzibar. Cette parenthèse a été un délice.
Il y a pour moi des rituels immuables : la descente de l’avion vers l’archipel où je cherche à reconnaître chaque banc de sable depuis le hublot, l’impatience de revoir le turquoise de l’eau, de sentir le giroflier, le poivre et la vanille, de toucher le sable fin, de goûter les produits de la mer et de revoir enfin mes amis de Zanzibar.
J’arriverai à Zanzibar dans dix minutes. Les gestes sont toujours les mêmes. J’ai enfoui mes euros au fond de mon bagage à mains et les ai troqués contre des shillings et des dollars (il m’en reste chaque fois un peu de mon voyage précédent), remis la puce de la compagnie Zantel dans mon vieux téléphone (et reçu des SMS qui datent d’un an), rapidement annoté mon planning de la semaine, relu les points de détail que je dois vérifier.
Le vol a été long, comme d’habitude. Ethiopian est fière d’avoir mis en service il y a trois mois son nouveau Boeing 787 Dreamliner entre Paris et Addis Abeba. Le vol Paris/Addis a été confortable, les quatre heures d’attente à l’aéroport d’Addis interminables (la patience n’est pas la première de mes qualités), et lors du deuxième vol entre Addis et Zanzibar, je bouillais d’excitation.
A mon arrivée, je trouve comme d’habitude tout changé : le nouveau terminal de l’aéroport est à nouveau en construction, on paye désormais son visa en carte bleue, mais la livraison des bagages se fait toujours à la main. Accueil de mon équipe locale à l’aéroport, route rapide vers la vieille ville et installation dans un petit hôtel qui sent cette odeur que je retrouve partout à Zanzibar mais nulle part ailleurs : celle du plâtre frais ou du salpêtre ? C’est en tout cas, avec celle de la poussière de la ville après la pluie, l’une de mes odeurs préférées.
Douche, troc de ma tenue de voyage contre un bermuda, une chemise en lin et une paire de tongs. Vingt minutes seulement après mon arrivée à l’hôtel, je suis « en ville ». J’avance, fébrile, vers le quartier de Shangani vérifier l’avancée des travaux des deux nouveaux hôtels qui font peur à tout le monde à Zanzibar : le Double Tree by Hilton et le Grand Hyatt. Il y a onze ans, quand j’ai commencé à construire des voyages à Zanzibar, il n’y avait qu’un seul hôtel confortable en ville : le Serena Inn, propriété du prince Aga Khan, l’un des bienfaiteurs de Zanzibar.
Il nous arrive encore de vendre cet hôtel historique. Dans la vieille ville, cependant, le choix est désormais important : nous vendons des petits palais omanais transformés en hôtel de charme (financés par les fonds de l’UNESCO…) ou des boutique-hôtels raffinés au chic étudié. Seuls nos clients qui exigent une piscine sont hébergés dans les hôtels que nous vendions à l’ouverture de l’agence. Ces hôtels sont peu nombreux et victimes de leur succès : ils vieillissent.
Il y a onze ans, nous vendions les excursions « incontournables » : outre la visite de Stone Town, nous invitions nos clients-voyageurs à visiter une plantation d’épices ou à faire du snorkeling dans la baie de Menai et autour de Changuu, « l’île des tortues ». La fréquentation touristique de Zanzibar a plus que doublé en dix ans et il y a désormais trop de monde à Changuu. Nous proposons désormais des croisières en boutre traditionnel au moment du coucher du soleil et des pique-niques sur des bancs de sable (mais pas n’importe lesquels : ceux que ne proposent pas les autres agences, pour garantir à nos clients qu’ils seront seuls sur « leur » banc).
Quand nous avons lancé l’agence, il n’y avait que quatre guides francophones. Depuis, bien d’autres guides ont été formés à la langue de Molière. Depuis trois ou quatre ans que la destination s’est banalisée sur le marché français (loi de l’offre et de la demande oblige), ils ont augmenté leurs prix ! Mais heureusement, certains nous sont restés fidèles et (moyennant espèces sonnantes et trébuchantes), nous arrivons à vous réserver leurs services !
Au sud-est de l’île, dans les villages de Jambiani, Paje, Bwejuu et Pingwe-Michamvi, il n’y avait presque rien il y a onze ans. Depuis, des voyageurs européens tombés comme moi amoureux de Zanzibar ont acheté des villas. Ils n’y vont qu’une fois ou deux par an et les louent le reste du temps. Comme à chacune de mes visites, je vérifie la qualité des prestations (de celles) que nous proposons à la location et je cherche de nouveaux lieux à vous proposer. Cette semaine, j’ai choisi d’ajouter à notre sélection deux nouvelles maisons.
J’ai aussi visité les nouveaux hôtels de Paje : le village est désormais envahi par les écoles de kite-surf, et entre les cours de glisse et les cultures d’algues, trouver un endroit où se baigner est devenu difficile. Heureusement, à l’extérieur du village, Kisiwa on the Beach et White Sand viennent d’ouvrir.
Mais le meilleur rapport qualité/prix de cette côte est incontestablement l’Indigo : un petit hôtel de 9 villas à prix doux (le petit bâtiment de deux étages en retrait de la plage permettra aux plus petits budgets de profiter de l’endroit), dans le petit village de Bwejuu, avec une plage superbe (elle a été nommée dans le top 30 des plus belles plages du monde par Condé Nast), une belle piscine, un restaurant convivial, un encadrement français… Tout est réuni pour que cet hôtel devienne l’un de nos best-sellers.
A l’Indigo, quelques détails charmants font la différence : les villas sont construites juste devant la mer et les vents poussent le sable doux et fin comme de la farine sous les portes. Après une nuit un peu agitée (j’ai dormi à l’Indigo pendant la pleine lune), le rez-de-chaussée de ma villa était saupoudré d’une fine pellicule de sable blanc. Deuxième douceur délicieuse : la salle de bains est complètement extérieure : on se brosse les dents dans le vent et on se douche sous les étoiles. Ça sent vraiment les vacances !
Au nord, je suis retourné inspecter Gold. A Kendwa, l’un des rares endroits de l’île où la mer ne se retire pas et où l’on peut se baigner et profiter de la plage à marée haute comme à marée basse, Gold a ouvert il y a presque deux ans et je n’y avais jamais séjourné. Passer 24 heures dans un hôtel, c’est l’assurance de voir bien plus de détails que lors d’une inspection d’une heure. J’ai traqué les défauts et je n’en ai pas trouvé. Ah si, un : quelqu’un peut m’expliquer pourquoi quand on est en formule « tout inclus », on doit signer des notes de bar (à zéro) à chaque fois qu’on prend un verre ?
Gold, resort à taille humaine, dans la catégorie des hôtels à 150 € par personne en formule « all inclusive », met une claque à ses concurrents. Pour trouver mieux, il faut payer bien plus.
J’ai inlassablement visité nombre d’hôtels de piètre qualité. J’ai tenté d’être impartial et d’accepter de programmer des resorts sans âme à moins de 100 € la nuit en formule all-inclusive pour ceux qui ne voient en Zanzibar que le dépaysement facile sans décalage horaire et sans surprise.
C’est malheureusement une facette de Zanzibar que nous ne pouvons plus ignorer : il existe un tourisme de masse sans âme dans des hôtels fatigués. J’ose espérer que les clients intelligents préfèreront dépenser 1600 ou 1800 € pour une vraie expérience zanzibarite que 1499 € pour ce type de vacances.
L’avantage du développement du tourisme à Zanzibar, c’est que nous avons cet hiver bien des solutions pour rejoindre mon île : Ethiopian Airlines remplace ses Boeing 767 par des Boeing 787 (20% de capacité en plus), Oman Air répond en mettant en place depuis Paris des Airbus 330.300 (avec 25 sièges en business 250 sièges en classe éco) à la place de ses Airbus 330.200 (qui avaient 20 sièges en business 196 sièges en classe éco).
Mais la révolution, c’est que la compagnie française Corsair lance un vol par semaine entre Paris et Zanzibar (via Dzaoudzi à l’aller, sans escale au retour). Un gain de temps appréciable pour tous ceux qui comme moi, ne reculent jamais devant l’envie de retourner inlassablement à Zanzibar